Siegfried et Roy auraient dû étudier la random magic!
Pour situer un peu cette bande dessinée, elle est
parue chez Epic Comics, qui était un label de la
maison Marvel permettant de publier pas mal
de productions un peu différentes des super-héros
de ce géant de la bande dessinée américaine. Le
scénariste est James D. Hudnall, qui est également
l'auteur de Espers, Interface (mini-séries du même
univers auquel appartient Chiller), mais aussi de La
biographie non-autorisée de Lex Luthor.
Il ne s'agit
donc pas d'un auteur s'agitant sur les longues séries
à la mode, préférant bien plutôt un récit construit et de
préférence fini. John Ridgway est le dessinateur de
Chiller mais également son propre encreur, comme
il l'est dans pas mal de ses travaux. On le retrouve
dans des productions Epic tel que Hellraiser, Critical
Mass
(également dans Open Space mais c'est Marvel
Graphics et non pas Epic) mais son dessin très fin
et réaliste peut devenir sur certains de ses travaux
plus gras et perdre de cette grisaille qui convient bien
aux récits horrifiques, ce qui est un peu dommage
(Punisher de retour à l'école, The Spectre). Il a oeuvré
sur Les Invisibles, sur l'adaptation de Hook, sur des
Transformers
semble-t-il, et sur Babylon 5 également.
Pour revenir à Chiller, le bruit d'un projet d'adaptation
cinématographique avait couru un moment (travail
d'adaptation de Bill Massa, avec David Engel en
producteur). Finalement c'est peut-être Psycho qui se
verra mis à l'écran.
Abordons maintenant un peu l'histoire : aux Etats-
Unis des travaux mettent à jour un curieux mausolée
que les ouvriers vont s'empresser de pénétrer, à
leurs dépens puisqu'ils réveillent ainsi un démon.
Celui-ci commence alors à s'en donner à coeur joie
à Manhattan.
Le personnage
principal
est
Brian Marx, un
artiste-peintre
officiellement,
un
spécialiste
de la random
magic
en privé
(en gros il fait de
la magie assez
impressionnante
à partir d'éléments
ne payant pas
de mine). Il est
contacté par un groupe très organisé, les Architectes,
sorte de confrérie s'intéressant de près à la magie
et plus encore à la recherche de pouvoir. Il va sans
dire que notre héros va s'en méfier dès le début.
Il va s'adjoindre l'aide d'une journaliste, lointaine
descendante du sorcier qui a invoqué le démon la
première fois (lors de la guerre d'indépendance, eh oui
comment croyez-vous qu'ils l'aient gagnée !?). Brian
va réveiller la mémoire de l'ancêtre et s'en servir pour
tenter de mettre un terme aux agissements du démon.
Et de préférence en essayant de ne pas satisfaire les
Architectes qui eux ont commandé à notre magicien
de leur livrer le monstre, non de le tuer...
Brian Marx est donc le personnage que l'on suit principalement. C'est un type de magicien qui ne donne pas dans les costumes bizarres et bariolés. Au contraire, il recherche plutôt la discrétion, ce qui forme un petit contraste avec sa vie officielle d'artiste : on voit certaines de ses oeuvres, vraiment tapageuses avec des couleurs et des symboles partout. Il est plutôt flegmatique, a l'air globalement de tenir la forme bien qu'on ne le voit pas se démener. Il est en tout cas d'un sang-froid et d'une assurance à toute épreuve. Mais cela ne veut pas dire téméraire, et il prépare minutieusement toutes ses actions. Et cela vaut mieux vu les fortes parties auxquelles il va essayer de damer le pion.
Tracy King est une femme noire, journaliste, ayant
foi dans son métier, que Brian va forcer à collaborer.
Il réveillera en elle Aldo Roth, un ancêtre abject qui
avait invoqué le démon sur Terre. Celui-ci prendra
possession par intermittence du corps de Tracy
puisque l'appel de Brian l'a mis en position pour
le faire. Inutile de dire qu'être dans le corps d'une
femme ne le satisfait pas et encore moins de la
couleur des esclaves qu'il martyrisait de son vivant.
Cette petite alternance entre le méchant ignoble et la
gentille innocente aura de quoi pimenter la partie pour
un Brian qui avait déjà pas mal de quoi s'occuper.
Les Architectes visent le pouvoir. Il y a pas mal de temps qu'ils se consacrent à ça en accumulant les artefacts magiques, en prenant possession des banques, en possédant une structure tentaculaire mondiale... Inutile de poursuivre : ils ne sont donc pas très fréquentables comme l'on peut l'imaginer. Je passerai sur leur machination pour contrôler le monde tant elle paraît ridiculement peu crédible. Mais c'est un peu comme le ton général de cette bande dessinée : quand on tente un résumé, on pourrait en faire un bis du plus bel effet jusque dans les motivations des Architectes, mais le ton général donné et le dessin réaliste forcent à suivre cela dans une sobriété et un ton qui font passer la sauce et rendent même intéressantes les péripéties les plus farfelues.
La mise en page est à l'instar du héros de cette bande,
plutôt sérieuse et en tout cas loin d'être tapageuse.
De fait, je suppose que cette bande dessinée n'a
pas trop eu de succès tant elle s'éloigne des bandes
mainstream dynamitées. Ceci dit, si elle repose
essentiellement sur une structure générale style moule
à gaufre déformé, elle se laisse aller de temps à autres
à quelques moments forts qui bénéficient ainsi de
cette démarcation. En général, les successions entre
les cases hors ces moments forts sont quand même
un peu curieuses, les cases étant posées les unes à
côté des autres de manière souvent peu heureuse :
pourquoi casser le cadre du moule à gaufre si c'est
pour ne rien apporter de plus ?
Ainsi sur l'exemple
des premiers méfaits du monstre, on peut voir la
troisième case empiéter sur la deuxième, un détouré
blanc de la première et de la quatrième, ce n'est pas
vraiment visuellement très réussi je trouve. Si l'unique
objet était de rompre une monotonie, changer les
largeurs des cases de la première bande de façon
plus accentuée eût sans doute été préférable :
diminuer encore plus la première case, accentuer le
rapprochement de la tête de la victime de la deuxième
case afin de donner un plus grand espace à la frayeur,
obtenir un plus grand impact... Mais il est vrai que la
caractéristique principale de cette bande dessinée est
d'essayer de minimiser les émotions au maximum, les
impacts sont sans cesse amoindris, et ceci de la part
du scénariste comme de la part du dessinateur, ce
qui donne son ton si particulier, ce qui fait qu'on la lit
froidement puis qu'un deuxième effet apparaît, une
impression de réalisme renforcé encore plus par cette
approche « documentaire » des événements. Dans
cette page, l'on voit également que l'arrachement
des bras est plutôt soft, si tant est que ce genre de
méfait puisse l'être (!). Il aura son importance car le
monstre changera plusieurs fois de corps au cours de
la bande, et à chaque fois on le verra avec un bras
arraché, moyen peu subtil de le reconnaître, mais
bon, chacun ses habitudes ! On remarquera le design
du monstre lui aussi très peu « écoeurant »...
Il serait intéressant de considérer d'autres aspects de cette bande dessinée, en regardant ses rapports avec les conseils d'écriture que l'auteur donne sur son site par exemple, ou en détaillant quelques moments choisis. J'espère juste avoir éveillé un petit intérêt pour une bande dessinée qui a opté pour une approche bien différente de celle du spectaculaire qui règne en maître aujourd'hui.
Maxime Isant
Chiller / sce : James D. Hudnall / des : John Ridgway / let : John Workman / col : Kevin Tinsley / ed : Kevin Somers, Marie Javins, Carl Potts / Epic Comics / chaque volume : 7.95 $, 62 pages de BD / #1 : Nov 1993 / #2 : Dec 1993