Erotisme et neuvième art

Ni mort ni vif: Necron

Merci à Fred de revêtir une nouvelle fois son costume d'interlocuteur candide pour donner la répartie à Nono dans cette présentation de NECRON de MAGNUS, une série de cinq tomes publiée en Français aux éditions Albin Michel. Et maintenant, place aux artistes...

From : Fred Boulet <petit@scarabee.fr>
To : Nono Pervers <nono@cine.bis>
Subject : Necron

Ainsi que tu me l'avais conseillé, ô grand maître pervers, j'ai cherché la BD Necron à la FNAC. Ne la trouvant pas, j'ai demandé au vendeur, qui m'a dit qu'elle n'était plus éditée, avant de passer un coup de fil aux vigiles (que j'ai pu semer parce qu'ils étaient un peu empâtés par les bières du midi). Est-ce normal? La BD est-elle si précieuse qu'on ne la trouve pas par les circuits ordinaires?

From : Nono Pervers <nono@cine.bis>
To : Fred Boulet <petit@scarabee.fr>
Subject : Necron

Ah la la, alors comme ça on ne trouve plus d'exemplaires de la grande bd de Magnus, Necron, publiée à la glorieuse époque chez Albin Michel.

couv
Peut-être auras-tu plus de chances de trouver cette bande dessinée en faisant le tour des boutiques d'occasions ou les quais de Seine, voire en fouillant dans des bibliothèques municipales tenues par des esthètes éclairés... En ce qui concerne sa rareté (par la force des choses) et la réaction des vi(r)giles, cela vient peut-être des penchants pour le meurtre et la nécrophilie de l'héroïne Frieda Boher qui ne font sans doute pas l'unanimité. Dans la série d'ailleurs les agissements de notre belle savante semblent aussi provoquer le dégoût de la part de ses confrères scientifiques...

From : Fred Boulet <petit@scarabee.fr>
To : Nono Pervers <nono@cine.bis>
Subject : Necron

Oulala il faut aller chercher dans les occasions? Vous auriez pu me prévenir, maître... bref j'en ai dégoté un tome. Ma toute première remarque :

necron
il n'y a pas de couleurs? et pourquoi le trait est- il si épais? c'est pour faire moins de dessins par page? J'ai lu 10 pages seulement, et ça fleure déjà bon le cadavre moisi et la délicatesse... y en a long comme ça?

From : Nono Pervers <nono@cine.bis>
To : Fred Boulet <petit@scarabee.fr>
Subject : Necron

Quoi t'aimes pas les dessins? Petit scarabée, le style si particulier de Magnus découle des formats des " fumetti " italiens, ou BD érotiques que l'on dit chez nous " de gare ", à savoir des petits formats noir et blanc lus à la va- vite, où il faut donc être clair et efficace. Magnus a su trouver un style adapté aux contraintes, d'une beauté un peu primaire (il y gagne d'ailleurs en impact, par opposition à d'autres très grands auteurs de bd érotiques comme Manara ou Crepax). On pourrait rapprocher ce style du style manga (où il y a des contraintes assez voisines) à part qu'ici Magnus sait jouer du noir, à la fois dans les traits plus ou moins épais mais aussi dans de superbes aplats, et ne se cache pas derrière l'usage de trames et dégradés un peu faciles.

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To : Nono Pervers <nono@cine.bis>
Subject : dessins pas si mal

Mais alors comment se fait-il que quelqu'un qui dessine aussi bien se retrouve à faire des BDs de gare ? D'accord c'est que du noir et blanc, et le dessin est moins fignolé que dans les BDs actuelles, mais quand même! Il y a clairement une recherche de style, un équilibre des dessins, un bon découpage en cases, de bons cadrages et une précision des traits ; c'est pas donné à tous les dessinateurs d'en faire autant (quoique ça serait bien).

From : Nono Pervers <nono@cine.bis>
To : Fred Boulet <petit@scarabee.fr>
Subject : dessins supers oui!!!!

En effet il y a clairement une

necron
recherche de style, surtout que l'auteur doit respecter les contraintes du format (petit format limite carré autorisant peu de cases par pages et seulement des " casages " simples (la version française entièrement remontée ne donne pas un bonne idée de cela) mais l'auteur y arrive en faisant un découpage très cinématographique avec de arrêts sur image (pleine page, mais à ce format une " splash page " comme on dit, est moins lourde que dans une BD normale). Au niveau du style, le noir et blanc est toujours très difficile car il faut styliser son dessin, et la couleur n'est pas là pour rattraper les défauts de dessin (exemple au hasard Largo Winch, ou bien les couleurs criardes de certains comics, mais là c'est une partie de leur culture...). Comme tu le dis, ce format est compensé par Magnus par un découpage exemplaire et des cadrages dynamiques... mais pas gratuits. On évite donc les cadrages à la David « Panic Room » Fincher pour le cinéma, ou bien certains jeunes auteurs qui aiment bien les
necron
découpages qui impressionnent mais qui font un peu ça sans réfléchir (je ne vais citer aucun auteur de Soleil ni Delcourt... en fait, la sobriété est réservée aux seuls maîtres assez mûrs dans leur métier...). A ce propos Magnus ne fignole pas, en effet, mais c'est parce qu'il faut être efficace et direct...Quant au fait que ce ne soit que de la BD de gare, eh bien oui, c'est un peu triste mais il faut bien vivre (la BD n'a pas toujours été respectée comme actuellement, et je ne parle même pas de la bd érotique qui pourtant regorge de trésors qui justifient notre rubrique). D'un autre côté, maintenant la BD est à la mode et les albums sont des objets de luxe que l'on soigne amoureusement, on doit payer 11 euros pour quelques pages avec une grosse couverture épaisse et vu le prix on se rabat sur 2-3 valeurs sûres ou des genres qu'on aime bien, est-ce vraiment mieux ? Pour en revenir à Necron, la série, à ma connaissance, se compose de cinq tomes en France et au niveau délicatesse ça empire au fur et à mesure. As-tu avancé dans ta lecture, en es-tu arrivé à la naissance de Necron, le géant vert naturellement bien doté ?

From : Fred Boulet <petit@scarabee.fr>
To : Nono Pervers <nono@cine.bis>
Subject : beuarghh

Bon ça y est, j'ai fini le tome 1 de Necron. Frieda qui a des penchants peu avouables s'est créé un esclave sexuel (encore un cousin de Frankenstein), ça change de Tintin!

necron
Y a des vrais gens, des morts, des vicieux, des monstres, des nécrophiles, des nécrophages, et j'en oublie... La frénésie narrative de l'auteur n'a l'air de servir qu'un pseudo-scénario gratuitement choquant et trash. C'est moi qui ai des goûts trop conservateurs, ou il y en a d'autres de BDs comme ça ?

From : Nono Pervers <nono@cine.bis>
To : Fred Boulet <petit@scarabee.fr>
Subject : beuarghh

Eh oui, il s'en passe des choses dans cette BD, contrairement à d'autres séries qui se traînent en longueur, et contrairement aux BD érotiques caricaturales. Magnus ne se vautre pas dans des pages et des pages de scènes érotiques mais est aussi direct et efficace que sur les autres passages de l'histoire (car il y a vraiment une histoire faite de suspens, d'intrigues machiavéliques et d'amour (mais si!)), le scénario reste assez basique mais présente l'originalité de s'intéresser aux points de vue d'une héroïne malfaisante et amorale, ce qui peut paraître choquant pour des lecteurs peu habitués à cela.Il faut par contre savoir qu'en Italie il y a eu d'autres séries se vautrant dans le mauvais goût - en parallèle d'un cinéma lui-aussi explorant toujours plus les frontières du bis, on ne citera que Cannibal Holocaust qui ouvrira la voie à beaucoup d'autres débordements graphiques - et présentant le point de vue de personnages mauvais comme Hessa, série BD emblématique sur une héroïne nazie pendant la guerre (ils sont fous ces italiens, ça ne les gênait pas de publier Mein Kampf par chapitres, dans les dernières pages de la bd!). Cependant ici on a affaire à un maître de la BD

necron
qui ne cherche pas seulement le mauvais goût mais créé de vrais personnages attachants, que ce soit Necron, le héros un peu pathétique ou même Frieda qui au fond est une grande romantique.

From : Fred Boulet <petit@scarabee.fr>
To : Nono Pervers <nono@cine.bis>
Subject : beuarghh

Oui mais bon... si je veux pouvoir un tant soit peu justifier la présence de Necron dans ma bibliothèque, histoire de pas me faire chambrer parce que j'ai une BD «érotique», il va falloir plus de justifications que «c'est mauvais gout et j'aime ca». Cette BD est-elle représentative d'une période de la BD italienne (révolue ou non)? Doit-on la considérer comme un électrochoc destiné à nous sortir des sentiers battus? Quelles sont les références littéraires de cette BD (autres que l'évident Frankenstein)?

From : Nono Pervers <nono@cine.bis>
To : Fred Boulet <petit@scarabee.fr>
Subject : beuarghh

Je comprends pas vraiment en quoi l'argument «c'est mauvais goût et j'aime» ne suffit pas, et ceux qui te chambreront ne doivent pas connaître grand-chose à la BD (la BD érotique en particulier). Pour les références littéraires de Necron , il faudrait sans doute s'adresser à des gens cultivés, par contre cette série est assez représentative d'un style tout transalpin et d'une époque aujourd'hui révolue: celle des BDs érotiques au format de poche publiées par ELVIFRANCE et tombées sous les ciseaux des censeurs. Depuis, en France cette glorieuse époque est terminée et en Italie aussi les choses ont dû se tasser. Comme je l'ai dit précédemment, on peut établir un parallèle entre ces BDs de mauvais goût et tout le cinéma bis italien surfant sur les modes de «sous Mad Max», ou les films de cannibales et autres zombies. Ces films d'exploitation étaient visionnés dans les cinémas de quartier qui faisaient des doubles programmes et projetaient sans distinctions des films d'horreur, de kung-fu, ou pornographiques (bien entendu depuis la loi X ce n'est plus possible). C'était l'époque où un bon trucage d'oeil arraché recevait les ovations du public, la star était le zombie et pas une pauvre belle gueule à la Tom Crouze récitant péniblement son texte (maintenant on paie ça dix fois plus cher et en plus on aime ça). Alors bien sûr en France on s'est offusqué et la censure s'est mise en marche. En Italie, le bon goût l'a finalement emporté aussi. On a pu observer récemment une remontée du goût pour l'insolite, pour des films indépendants plus sales ou bis, mais on est bien loin des succès populaires d'antan. Au niveau des BDs érotiques ça s'est aseptisé, on publie dans des revues avec un certain standing, des belles couvertures avec des petits articles pour flatter l'intelligence du lecteur, et on y perd un format extrêmement libre car peu coûteux, qui était aussi une école pour des futurs maîtres de la bd se faisant les griffes (Manara ou Frollo - un jour il faudra que je reparle sérieusement de ce génie méconnu - sont passés par là), et maintenant un jeune auteur débutant n'a pas beaucoup de moyen de commencer autrement qu'en faisant du Soleil (oui je sais c'est dramatique :D )...

necron
En Italie, ils ont une vision moins artistique de la bd qu'en France, vu qu'ils ont adapté l'esprit comics chez eux avec des séries comme Martin Mystere ou Dylan Dog qui voient se succéder des auteurs et dessinateurs et qui sortent à un rythme assez soutenu. En France le culte des auteurs lie les series aux auteurs, et avec le rythme de parution des séries à succès on est loin des mangas ou même des comics qui pourtant touchent un lectorat important.

From : Fred Boulet <petit@scarabee.fr>
To : Nono Pervers <nono@cine.bis>
Subject : pour conclure

Si je comprends bien, cette BD représente un chant du cygne de la BD italienne? En termes de cinéma, il est de notoriété publique qu'après l'âge d'or des Fellini, Pasolini et autres, le cinéma italien est tombé en quasi-ruine et remplacé par une production télévisuelle assez faible. Y a-t-il toujours ce type de BD en Italie, et toujours des dessinateurs de la trempe de Magnus pour s'y coltiner?

From : Nono Pervers <nono@cine.bis>
To : Fred Boulet <petit@scarabee.fr>
Subject : pour conclure

Eh bien je dirais que ça s'est réduit maintenant, l'érotisme se retrouve dans des revues papier glacé comme La poudre aux rêves ou Selen et la quantité de publications a baissé énormément (on retrouve souvent les mêmes BDs sous diverses revues différentes selon les pays ce qui fait une faible production totale - je parle ici des Etats unis et de l'Europe, le Japon c'est un peu à part...). Un certain age d'or de ce genre de bd est en effet passé et ne restent que les quelques maîtres de cette époque. D'un autre coté des auteurs comme Roberto Baldazzini font honneur à leurs prédécesseurs (en particulier à Magnus par son trait extrêmement stylisé et son utilisation fréquente du noir et blanc), donc il y a des nouveaux maîtres mais les publications me paraissent moins distribuées.

fred Fred et nono Nono